Dans le but d’en savoir plus sur la maladie cancéreuse au Congo, notre équipe s’est entretenue le 30 mars 2022 au Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville avec le professeur Judith NSONDE MALANDA, cancérologue médicale et Directrice du programme de lutte contre le cancer. Elle a aimablement accepté de répondre à notre rubrique "une maladie en 10 questions".
Q1- Pouvez-vous nous expliquer en des mots simples ce qu’est un cancer?
Pr Nsondé Malanda : Le cancer est une multiplication anarchique des cellules. Les cellules augmentent de volume et se multiplient à un seul endroit initialement. Elles circulent ensuite dans le sang, s’im- plantent dans un autre endroit du corps et se multiplient, donnant ce qu'on appelle couramment des métastases.
Q2- Cette maladie est-elle fréquente au Congo? Touche-t-elle beaucoup d'enfants?
Pr NM : Oui, le cancer est fréquent au Congo. Il faut reconnaitre que ce service est déjà ancien, il a été créé en 1981. Le cancer atteint tout le monde même les nouveaux nés, il peut commencer avant la nais- sance durant la vie intra-uterine.
Pour les statistiques annuels, nous avons des données parcellaires parce que cela ne concerne que la ville de Brazzaville. De 1990 jusqu’en 2020, on a eu 2718 cas de cancer (soit 271,8 cas en moyenne par an, presque 1 cas par jour).
Q3- Quelles sont les principales causes de cancer des enfants et des adultes au Congo?
Pr NM : Pour le cancer, on ne parle pas des causes mais plutôt des facteurs causaux. Il y a des facteurs génétiques que l'on trouve chez l’enfant c'est –à- dire que l’enfant prend le sang des parents et reçoit leurs gènes. Il y a aussi des facteurs liés à l’environnement et à l’hygiène alimentaire.
Pour les adultes, les facteurs liés à l’environnement sont: les infections, la pollution… Ce sont des facteurs physiques. D'autres facteurs environnementaux sont liés à des causes chimiques, à ce que nous consommons par exemple: la cigarette, le tabac. Mais il y a certains cancers qui n’apparaissent qu’avec l’âge. Il y a donc globalement des facteurs favorisants environnementaux et génétiques (des cas familiaux).
Q4- Quels sont les cancers les plus fréquents en Afrique et particulièrement au Congo?
Pr NM : Parmi les cancers les plus fréquents nous pouvons citer:
• Chez la femme: le cancer du sein et du corps de l’utérus.
• Chez l’homme: le cancer de la prostate et du foie.
• Chez l’enfant: le cancer de la rétine, du sang et du rein.
Q5- Peut-on avoir une idée de leur pronostic?
Pr NM : Il faut noter que la plupart des personnes qui sont atteintes de cancer arrivent très tard. Ceux qui arrivent tôt ne sont pas nombreux. Sur 100 malades, peut être une quinzaine ou une vingtaine. Ce retard de prise en charge spécialisée reste une cause majeure de mauvais pronostic. C’est souvent par ignorance, pas toujours des malades, mais aussi des médecins.
Q6- À quel âge surviennent les cancers et quels en sont les premiers signes?
Pr NM : Les cancers surviennent à tous les âges. D’une manière générale, chaque organe à des manifestations qui lui sont particulières, mais l’amaigrissement et l’anémie sont des premiers signes fréquents des cas de cancer. Prenons l'exemple du cancer de l'œil chez l'enfant, cela peut débuter par une tâche dans l'œil et grossir progressivement du fait de la multiplication anarchique cellulaire. Le cancer de l'os peut entraîner une augmentation de volume de l'os, au niveau de l'abdomen également, ou encore des saignements digestifs...Les signes sont donc dépendants de la localisation du cancer.
Q7- Comment les familles vivent-elles ce diagnostic et comment les aider?
Pr NM : Il y a souvent une détresse psychologique, nous sommes obligés de gérer les choses en les accompagnant. La psycho-oncologie nous apprend qu'il faut prendre le temps pour annoncer le diagnostic à la famille. Il y a aussi des associations d' anciens patients cancéreux qui organisent des groupes de paroles, des échanges, des témoignages et cela devient thérapeutique pour les autres malades.
Q8- Quel est le coût moyen du traitement des cancers les plus fréquents au Congo?
Pr NM : Le coût varie, par exemple pour le cancer du sein chez la femme, il y a trois traitements: les médicaments anti-cancéreux, l’opération chirurgicale et la radiothérapie. Pour espérer traiter un cancer le minimum de chimiothérapie est de six mois donc c’est difficile de vous donner le prix exact mais du moins, il reste élevé. Aujourd’hui, avec la création du programme de lutte contre le cancer, nous débattons de ces questions.
Q9- Vers qui se tourner quand un médecin soupçonne qu'un de ces patients à un cancer?
Pr NM : En cas de soupçon de cancer, il est toujours mieux d’envoyer le patient vers le spécialiste. Quand le malade est vu au niveau des CSI (Centres de santé intégré), il doit être envoyé dans les hôpitaux de référence ou à l’hôpital général. A Brazzaville par exemple il y a des cancérologues au CHU, à l’hôpital de Makélékélé et à l’hôpital Militaire. Il est vrai que nous ne sommes pas nombreux par rapports à la population congolaise, mais nous espérons que cela va s'améliorer.
Q10- Comment soutenir la lutte contre le cancer au Congo?
Pr NM : Il y a plusieurs possibilités pour soutenir la lutte contre le cancer : utiliser les médias, les réseaux sociaux, le site web pour trouver des partenaires, mais cela a un coût. Nous pouvons organiser des séances de dépistage du cancer de l'utérus par exemple. Mais il faut que nous ayons le matériel nécessaire pour le faire comme les spéculums, le coton, les gants… De plus, Il faudrait aussi que les médicaments soient accessibles et disponibles. Malheureusement toutes ces choses sont difficiles à obtenir à un prix raisonnable au Congo, mais nous nous battons quotidiennement et inlassablement pour cela.
Quand le cancer est détecté tôt, il y a des chances de guérison. Aujourd’hui le cancer n’est plus une maladie fatale, il y a des traitements. Les choses sont en train d’évoluer.
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